L’avènement au pouvoir d’un groupe de militaires en Guinée avait amené beaucoup à sautiller de joie. Des politiciens aux yeux pétillant d’un bonheur enfantin exprimaient leur soutien à la Junte. Surexcités, ils avaient tout de ces gamins à qui on a offert des bonbons en attendant que maman revienne du marché aux poissons.
La guerre civile tant redoutée n’aura pas lieu (du moins pour le moment) parce que ceux qui détiennent les armes et censés la déclencher sont au pouvoir depuis le 23 décembre 2008 après le décès de leur parrain, le général président Lansana Conté.
Le chef de la junte, le capitaine Moussa Dadis Camara, dit ne pas vouloir “s’éterniser au pouvoir “. Il en a même fait sa chanson préférée. Il promet aussi d’organiser des élections équitables et “rendre le pouvoir à un civil qui a les mains propres“ mais seulement après avoir “ balayé la maison“ -que l’armée avait grossièrement contribué à salir. C’est peut être vrai, mais pour quand ? Que la junte qui est entrée par “la petite porte“ dans la nuit du 22 au 23 décembre 2008, nous donne une date précise “de sortie par la grande porte“ en cette nouvelle année 2009.
Certains lèche-bottes ont déjà renforcé Dadis dans son projet. Ils lui demandent de “prendre le temps qu’il faut pour nettoyer la maison“. Ces lèche-bottes qui ne sont pas à leur première expérience, avaient léché celle de Lansana Conté au point qu’ils avaient fini par tomber dans ses défaveurs.
En soutenant la junte, les politiciens guinéens ont raté l’opportunité d’en finir, une fois pour toute, avec les régimes militaires en camouflage civil. Pour une fois encore, faut-il attendre deux précieuses décennies pour savoir si la junte va respecter ses engagements ou non ? Le capitaine Dadis va-t-il se métamorphoser en ce civil aux “mains propres“ ? Maudit soient les lèche-bottes et les bottes qu’ils lèchent.
Dans cette attente, Dadis semble être résolu à abuser militairement de la confiance de nos ex-opposants et de la patience de nos syndicalistes qu’il a mis au chaumage politique et syndical du 23 décembre 2008 au 27 février 2009. Ces derniers se sont impatientés au point que Hadja Rabiatou Serah Diallo a haussé un ton syndical avec modestie. Histoire d’éviter une réponse militaire sauvage du genre « janvier-février-2007. »
Ça vaut la peine de rappeler à la junte qu’elle est tout d’abord militaire. Et comme telle, elle devrait se contenter de rester là où elle appartient : les casernes. Pas de compromis à ce sujet puisqu’en 1984, les Guinéens et la communauté internationale avaient mordu à l’hameçon de Lansana Conté et y sont restés accrochés, 24 ans durant, entre promesses de “démocratie“ et “bonne gouvernance“. Mais cette fois-ci seuls les ex-opposants et l’organisation de la société civile semblent être pris au piège militaire.
Une armée qui a été incapable de nous apporter un minimum de quiétude sociale pendant 50 ans, pourra-t-elle réellement nous mener vers une véritable démocratie ? L’armée nous a fait preuve de sa carence de culture démocratique. L’expérience vécue pendant 24 ans nous fait douter de la bonne volonté de ces militaires d’avoir un gouvernement civil qui n’est pas soumis aux fantaisies de l’armée.
Comme son parrain, le capitaine Dadis a non seulement “goûté“ au pouvoir, mais aussi il a réussi à mettre en place une jolie équipe militaro civile qui pourra lui permettre de légitimer et de garder le pouvoir aussi longtemps que possible avant de passer la main à un autre militaire. Si Dadis tente et réussit l’exploit du général Lansana Conté de 1993, il faut bien se demander si la Guinée n’est pas sur le point de devenir un “royaume militaire“ mafieux à succession par parrainage ? Il faut bien le redouter si le capitaine guinéen n'est pas “balayé“ comme le général ivoirien.
Dadis qui mettait son épouse, ses enfants et sa propre mère dans spectacle inédit de télévision sous forme d’interview, nous tenait en haleine. L’objectif était de convaincre qu’il n’était ni “riche“ ni “corrompu“ et qu’il n’avait “aucune intention de s’éterniser au pouvoir“. C’est raté, puisqu’il rejoint ainsi le colonel Lansana Conté qui disait en 1984 : « Nous sommes montés au pouvoir pauvres. Tout ce que vous verrez avec nous, c’est qu’on l’a volé. »
En moins de deux au pouvoir, Dadis dit avoir “refusé une offre de 22 millions de dollars“ d’une société minière de la place parce que l’objectif était “de l’endormir“. Nous devons nous attendre à une action en justice contre les auteurs présumés de cette “tentative de corruption“ au plus haut niveau si réellement le capitaine Moussa Dadis Camara n’avait pas empoché les billets verts.
Pourquoi Dadis s’entoure t-il d’une batterie de conseillers dont certains sont liés à certains intérêts de la place ? Pourquoi fait-il créer des mouvements de soutien si le CNDD ne s’inscrit pas dans la durée ? En quoi Dadis serait-il différent de Lansana Conté en dehors de la pointure de leurs brodequins ?
Espérons que notre capitaine ne manigance rien pour faire partie de la prochaine course. Il faudrait l’en empêcher pour éviter de revivre le scénario des élections de 1993. Si le capitaine réussit à se présenter aux élections, rien ne nous indique que les élections seront équitables lorsqu’il pourrait, comme son parrain, les dérober et se faire acclamer comme le héro qui nous a évité de justesse “la guerre civile et le bain de sang“ ?
Les forces vives de la nation viennent de proposer la tenue des élections législatives en novembre et la présidentielle en décembre 2009 au sortir d’une réunion mercredi dernier. Mais, la junte semble plus préoccupée par sa “lutte contre la corruption et les narcotrafiquants“ que par le retour à la vie constitutionnelle. Il ne serait donc pas étonnant de voir le CNDD proposer son chronogramme à défaut de l’imposer.
Le CNDD du capitaine Dadis semble être à la recherche du temps et des moyens nécessaires à son occupation de la scène politico militaire à travers les urnes. Ce qui va certainement rassurer ceux qui demandent “le retour à la vie constitutionnelle normale“ et clouer la bouche à tous ceux qui lui avaient apporté un soutien précieux au moment où il en avait tant besoin.
Pour l’instant, le jeune capitaine s’éclate à fond dans la liesse populaire dont il se fait entourer à travers le pays. Ce ne serait pas étonnant qu’il aille jusqu’à la limite du plaisir. Les ex-opposants politiques ne doivent pas être jaloux du capitaine. Certains estiment qu’ils doivent plutôt rejoindre “les masses populaires“ qu’ils ont inspiré au lendemain de la prise du pouvoir par la junte. D’autres pensent qu’en soutenant la junte le 23 décembre 2008, ils ont rompu avec leurs propres convictions.
Certains vont jusqu’à dire qu’en plus de l’armurerie, Dadis a aussi réclamé les clés du caveau de la Banque centrale (auxquelles il n’a pas droit) pour y puiser ce qui lui servirait à l’achat de conscience aux quatre coins de la Guinée avant de troquer sa tenue militaire contre un boubou et se faire élire président et continuer à protéger les intérêts de son parrain.
La junte doit nous faciliter son retour apaisé dans les casernes avant la fin de décembre 2009. Cela permettra au nouveau président démocratiquement élu de continuer “la lutte contre la corruption et les vrais narcotrafiquants“. Autrement, du CMRN au CNDD l’armée nous a fait subir une arrogance militaire à outrance pendant vingt quatre années. Il faut que ça s’arrête ! Sur terre, il y a une fin même pour les bonnes choses.
Amdy Salam Diaw
Contact : amdysalamdiaw@yahoo.fr
Source : www.ondes-guinee.info
Posté le 18-3-2009 à 23:57