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11 juin 2010 5 11 /06 /juin /2010 11:29

Sur plusieurs forums guinéens, des compatriotes ont lancé des appels réitérés à une réconciliation nationale. Des interlocuteurs ont marqué leur réticence à s’associer à une telle démarche en insistant sur la quête de la justice et de la vérité comme préalable. D’autres dont je suis, s’interrogent sur la pertinence même de l’idée d’une réconciliation en Guinée.

La présente discussion s’inscrit dans ce débat; elle a moins pour but de chercher à réconcilier les points de vue que d’analyser la pertinence et l’adéquation des composantes du triptyque de vérité, justice et réconciliation eût égard aux spécificités historiques de la Guinée.

 

La quête de la vérité est le moyen pour connaitre ce qui s’est réellement passé, pour documenter les mécanismes de la terreur du PDG et de la dictature militaire qui s’en suivit. Malgré les livres remarquables sur la répression du PDG et les efforts de témoignage comme campboiro.org, l’analyse explicite des mécanismes de la terreur et de la répression reste à faire ; ces mécanismes sont encore sont des sujets marginaux et presque tabous. Pour les appréhender, il faudra plusieurs angles d’attaque : des débats, des documents audio-visuels, des modules d’enseignement d’histoire dans les écoles et les universités, des forums et des mémoriaux permanents ainsi que de musées.

 

Une systématique démarche de compréhension de la création des complots, de la fabrication des aveux, les circonstances des morts des victimes (endroits, heures, exécuteurs, lieu d’inhumation, etc.), du rôle des tribunaux populaires, des justices expéditives, de la torture et de l’humiliation comme arme de terreur doit constituer l’ossature de recherche de la vérité.

 

La démarche devra être globale et inclure des explorations sur les survies des systèmes de politique terroriste en Guinée, les liens profonds entre la délinquance économique, la division ethnique et la violation des droits des citoyens qui participent tous à un objectif commun qui est de dissoudre le bon fonctionnement de l’état et d’en faire l’otage de réseaux constitués : parti unique, parti-état, clan familial, castes militaires, acolytes en affaire etc.

 

La quête de la vérité devra dépasser l’anecdotique et le sensationnel pour effectivement dépouiller la nébuleuse des milieux organisés qui survivent à leur chef dans l’ombre des oublis malencontreux. En 1984, rares sont les voix qui s’élevèrent contre le duo Diarra Traoré et Lansana Conté qui furent pourtant des agents patentés de la terreur du PDG. Les mêmes oublis permirent aux tueurs notoires du CNDD de remplacer le pouvoir de Conté sous des applaudissements populaires.

 

Les travaux de recherche de la vérité, devront se faire à travers des commissions spécialisées d’études sur les crimes de sang et les crimes économiques avec des calendriers et des missions précises qui permettront d’en évaluer le déroulement. Le processus ne saurait négliger la symbolique d’une conférence nationale de longue durée pour restituer au public les résultats des travaux des commissions.

 

Cantonner les recherches dans un seul domaine (comme celui des crimes contre l’humanité) ne servirait pas la cause de la vérité. L’exploration des ramifications des crimes d’état dans tous les secteurs et leur passage au crible est la clé du succès de l’entreprise.

L’effort de recherche de la vérité devra être suivi d’un effort tout aussi rigoureux d’établissement de la justice. C’est là un combat difficile qui requerra des démarches intelligentes. La rénovation de l’appareil judiciaire en soi représente un défi qui décourage toute initiative.

 

Ce préalable est pourtant indispensable pour qu’au regard des travaux des commissions de recherche de la vérité il soit possible de décider de ce qui est crime, de ce qui est prescriptible, de ce qui ne l’est pas ainsi que des peines à purger. L’effort devra d’abord vaincre des pratiques incrustées dans notre société qu’on a tendance à assimiler à la « normalité » en Guinée.

 

Un état d’esprit insidieux a imprégné la société à un degré alarmant qui tétanise les citoyens. Il consiste à neutraliser le débat sur l’impunité avec des accusations frivoles. Ainsi on entend dire: tout le monde vol pour pardonner les vedettes de la corruption, tout le monde a soutenu Sékou Touré pour refuser d’instruire ses « complots » et ses forfaits, la révolution a commis des erreurs pour minimiser des crimes imprescriptibles.

 

Ce fatras artificiel veut assimiler des malheurs manufacturés par la dictature à des fatalités suprêmes. La prévalence du viol, des prévarications, des abus du pouvoir, de l’enrichissement illicite qui sont à l’origine de la pauvreté et de la misère génèrent des envies et renforcent le larbinisme des agents de l’état au lieu d’être un levain de lutte pour une meilleure gouvernance. Au recours à un appareil judiciaire déliquescence on préfère l’usage du trafic d’influence.

 

Dans la surenchère des faveurs qui marginalise l’usage des règles et du droit républicains, tout dépend de qui connait qui ; de qui peut aider qui. Éclairer et mettre fin à ces pratiques enracinées en vue de faire de la justice l’outil d’arbitre et de dissuasion demandera un effort patient.

 

Les perspectives d’une action dans ce sens ne sont pas brillantes. Rien n’indique que les candidats à l’élection présidentielle en fassent une priorité ; les caciques remueront-ils la tourbe dans laquelle ils se sont faits les armes ? Il appartient alors aux citoyens qui ont souffert dans leur chair de se faire les garants de cette rénovation sans laquelle l’éradication de l’impunité restera lettre morte.

 

Les victimes vivantes et les familles des disparus ont un rôle essentiel à jouer dans ce combat. La tradition de laxisme judiciaire et de corruption rampante en place n’augurent certes rien de bon pour que la vérité mène vers la justice. Mais elle offre un champ clair d’action citoyenne. Une assistance spéciale des organisations se battant pour la démocratie doit être engagée pour doter la Guinée d’une justice indépendante garante de la séparation des pouvoirs et du fonctionnement des institutions démocratiques.

 

A-t-on réellement besoin réconciliation nationale dans l’effort de démocratisation? En Guinée il n’y a pas d’antagonismes systématiques entre des groupes identifiables par l’appartenance ethnique, par la religion, la pigmentation de la peau, l’origine régionale, la langue. Ceci donne aux violations de droits de l’homme des constantes particulières et des spécificités propres.

 

L’exemple de bataille à coloration interethnique en 1957 entre des Peuls et des Soussous que l’on cite comme origine de la division ethnique était en fait purement politique. La confrontation fut inspirée par Sékou Touré. Il s’envola vers Dakar après avoir préparé ses milices pour attaquer les quartiers peuls, base de ses adversaires politiques. Une riposte fut organisée par le BAG. Le théâtre des affrontements fut limité à ces quartiers de Conakry et ne durèrent que quelques jours.

 

La déclaration de « guerre » contre un groupe ethnique, prononcée encore par Sékou Touré en 1976, est aussi citée comme le paroxysme de la haine ethnique. Il convient de remarquer toutefois, qu’en dépit de l’orchestration par le président du pays, il n’y eut pas d’affrontements entre groupes ethniques. Au contraire les autorités traditionnelles des autres groupes ethniques se démarquèrent discrètement pour mettre en garde contre les incitations de Sékou Touré qui étaient destinées à créer des troubles pour justifier l’assassinat programmé de Telli Diallo.

 

En 1985, les saccages des biens de commerçants malinkés par des loubards de la capitale et l’appui ouvert de Lansana Conté, pour déplorables qu’ils furent, ne peuvent être considérés comme des affrontements interethniques. On assista plus tôt à des chaines de solidarités où des commerçants des autres ethnies assistèrent leurs compagnons d’infortune du mieux qu’il pouvait. Enfin, la destruction des habitations de Kaporo-Rail qui furent instiguée et conduite par le gouvernement de Conté ne saurait être retenue comme une confrontation interethnique.

 

Ainsi, depuis la loi-cadre de 1957 on ne peut déplorer que des menées politiques qui ciblent des citoyens d’un groupe ethnique donné par des gouvernements peu scrupuleux, sans jamais produire d’affrontements interethniques. Le favoritisme, le népotisme, le clientélisme, caractéristiques des dictatures, pour néfastes sur la bonne gouvernance et sur l’économie qu’ils sont, ne sont pas nécessairement des conduites vers des affrontements qui justifieraient, même à titre préventif, un mouvement de réconciliation nationale.

 

Des thèses multiples ont été avancées pour expliquer le fait que malgré les menées explicites des gouvernements fascistes et corrompus qui ont dirigé le pays, il n’y ait pas eut de guerres civiles en Guinée. La thèse de la répartition géographique soutient que, du fait qu’il n’y a pas de compétition pour des occupations de sols ou des avantages écologiques, les ethnies guinéennes ne se sont pas affrontées.

 

Cette thèse qui assimile grosso-modo les régions naturelles de la Guinée à des groupes ethniques ne résiste pas à un examen sérieux quand on sait que chacune de ces régions est en soi un amas de groupes ethniques. La capitale Conakry où il y a brassage ethnique dans un milieu géographique réduit vient contrer la thèse de compétition des géographes et des écologistes.

 

La théorie de la langue commune et de la religion commune comme ciment a été aussi avancée. Elle pourrait être retenue comme première explication si elle n’occultait pas la région forestière.

 

Dans l’histoire de l’Afrique de l’Ouest les conflits n’ont jamais pris l’ampleur de pogroms ethniques. Prenons le Mali, le Burkina-Faso et le Sénégal. Ces pays ont des compositions ethniques semblables à celle de la Guinée. Des millénaires durant les populations ont vécu ensemble dans des empires et royaumes multiethniques où les guerres n’opposaient pas toujours des groupes ethniques précis ; quand ce fut le cas, c’était toujours pour des gains politiques, économiques ou des prosélytismes religieux et non sur la base d’une quelconque supériorité ethnique.

 

Les fiertés culturelles ethniques ont toujours joué les mêmes rôles : résister quand on est soumis et exalter sa puissance quand on est victorieux. Ces traits sont constitutifs de tout groupe humain. Ils ne sont à déplorer que quand des groupes illégitimes ou corrompus veulent mettre le pied dans l’étrier du pouvoir.

 

Le cas de la Côte d’Ivoire, avec la succession tumultueuse de Houphouët-Boigny, est l’exemple d’un pouvoir faible qui aura cédé à la tentation du mauvais usage de l’identité ethnique pour pouvoir pérenniser la mainmise sur l’appareil de l’état.

 

L’exercice du pouvoir politique en Guinée depuis l’indépendance est la clé pour expliquer l’ethnicisation de la politique dans le pays. L’analyse de la structure du pouvoir (à faire de façon exhaustive) est tout ce qu’il faut pour démonter la probabilité d’une guerre civile en Guinée et mettre fin aux supputations des experts en conflits.

 

L’identification des sources des tensions ethniques et politiques en Guinée mène vers un groupe démographique presque négligeable ; celui de l’administration et de l’armée qui ne représente pas plus de 0.08 % de la population même si l’influence de ce groupe est prépondérante dans la définition des enjeux politiques. C’est au sein de ce groupe que se produisent et s’entretiennent le clientélisme et les schismes ethniques. Leurs enjeux ne reflètent pas les préoccupations des citoyens moyens. Même si certains trouvent des fiertés identitaires symboliques, il n’y a pas de convergence d’intérêts entre les tenants du pouvoir et les membres de leur ethnie.

 

Pour les occupants des postes avantageux (civils ou militaires), il s’agit non pas de favoriser un membre de leur groupe ethnique, mais de maximiser leurs gains et avantages propres en s’abritant derrière l’ethnie pour diluer toute responsabilité ou s’attirer des soutiens subjectifs en cas de besoin.

 

Dans l’administration et l’armée où les règles de fonctionnement, de recrutement, de promotion et d’affectation sont toutes faussées à dessein, les querelles et les manifestations de violence sont rarement d’ordre politique ou professionnel mais le fait des frustrations et des exclusions qui en résultent.

 

Le mouvement de réconciliation nationale veut ignorer cette réalité et le contexte historique de la Guinée pour se focaliser sur une nébuleuse difficile à cerner. Il est silencieux sur les acteurs d’une éventuelle réconciliation nationale, sur le processus et les procédures qu’il faudrait. Quelles sont les parties à réconcilier ?

 

À part les victimes et leurs familles, s’agit-il des ethnies (représentées par qui ?), des groupes d’intérêts (représentés par qui ?). S’il faut y inclure des tortionnaires, des assassins des forces de sécurité, des délateurs et des apparatchiks des anciens régimes il est fort douteux qu’il y ait des volontaires.

 

Comment seront décidés les crimes à pardonner? Sur quel forum ? Quels sont les groupes ou les individus qui seront à la table de négociations pour décider d’une réconciliation? Le mouvement de réconciliation nationale devrait expliciter ces considérations et dérouler un calendrier qui expliquerait comment elle doit s’articuler avec les efforts d’instruction du passé et de punition des crimes.

 

Pour être crédible, le mouvement devrait s’appuyer sur l’analyse des affrontements passés dont on a montré ici l’inspiration politique ou tout au moins sur une démarche solide qui indiquerait les potentialités d’une guerre civile. L’invocation de dangers virtuels sur l’éclatement du pays ou les analogies avec des circonstances étrangères peuvent faire les délices des reporters ; mais elles sont loin d’être suffisantes pour incruster cette réconciliation factice dans le débat national.

 

À défaut d’un mode opératoire minimal, la réconciliation nationale ne peut même pas jouer le rôle symbolique de catharsis collective que ses tenants invoquent. Elle reste un slogan léger, un concept flou et pernicieux fondé sur le pathos de l’unité et de la paix à tout prix avec pour arrière fond le spectre de la guerre. Elle entérine l’idéologie de l’ethnocentrisme et de la division dont elle croit combattre les dérivés. Mais elle utilise la mauvaise approche en prenant l’idéologie comme une donne initiale au lieu d’une conséquence regrettable. Conséquence fâcheuse de cette inversion entre la cause et les effets, la réconciliation nationale dilue les contradictions justes et inconciliables entre les tueurs, les spoliateurs, les prédateurs qui prospérèrent sous les bannières du Parti-État, du PUP et du CNDD d’une part et le peuple victime d’autre part.

 

Le mantra de réconciliation nationale peut être séduisant mais il empêche de cerner et de baliser les enjeux essentiels; à savoir a) la confiscation du processus démocratique par l’usage de la division ethnique par certains éléments de l’administration et b) la lutte des citoyens guinéens face à des mafias organisées et transversales de tous les groupes ethniques.

 

Facilement, en l’absence de la promotion de la connaissance douloureuse du passé et d’un système judiciaire, même rudimentaire, la réconciliation nationale peut devenir un alibi romantique dangereux. Dans le sens où ceux qui ont quelques méfaits à se reprocher sont prompts à la récupérer pour se couvrir derrière une fausse fraternité nationale. Ils vont s’en saisir pour enfouir leur responsabilité dans la tourbe de la culpabilité collective ou, mieux encore, invoquer un ostracisme envers leur ethnie pour éviter de répondre de crimes qui leur sont propres.

 

L’idéologie de la réconciliation sert à cultiver la léthargie des victimes, à encourager le fatalisme, à perpétuer le laisser-aller des témoins et l’arrogance des criminels. En tant que tel, elle constitue le genre de démarche qu’il faut éviter dans le processus, déjà suffisamment complexe, d’éradication de l’impunité et d’érection d’un état de droit.

 

Ourouro Bah

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