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2 mars 2013 6 02 /03 /mars /2013 19:15

sadou_2.jpgLa bataille que l’opposition guinéenne est entrain de livrer pour avoir des élections législatives transparentes et crédibles est pleine d’enjeux et reste décisive pour l’avenir de la démocratie dans ce pays qui n’a connu que des dictatures depuis son indépendance en 1958.

 

Alors que l’élection présidentielle de 2010 avait été âprement disputée et que son issue avait littéralement coupé le pays en deux, les prochaines élections législatives se révèlent aujourd’hui encore plus importantes, surtout après que chacun ait pu apprécier la direction dans laquelle le pays est entrain de s’acheminer.

 

Alors qu’elles devaient être organisées six mois après la présidentielle, les législatives ont été sans cesse repoussées a cause d’une crise de confiance très sérieuse entre les différents acteurs politiques, née surtout de la volonté du pouvoir de changer les règles du jeu.

 

En effet, le pouvoir a décidé, sans concertation aucune, que le fichier électoral qui a servi a l’élection du président n’était plus fiable et qu’il fallait procéder a un nouveau recensement. Pour ce faire, il a engagé une société locale Sabari Technologie dominée par des sympathisants du parti au pouvoir et une société sud-africaine Waymark Infotech décriée dans toute l’afrique australe pour ses pratiques de corruption et de fraude. Et tout cela sans le moindre appel d’offres.

 

Après cela, le nouveau pouvoir guinéen a décidé qu’il fallait mieux remplacer certains élus locaux par des délégations spéciales, plus favorables a sa cause.

 

Puis il s’est attelé à transférer les compétences de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI)  au Ministère de l’Administration du Territoire, qui selon le code électoral ne doit jouer qu’un rôle de soutien. Et un président connu pour son militantisme dans le parti présidentiel a été installé pour maintenir le contrôle sur cette institution censée être indépendante.

 

Voila en résumé d’où est partie la crise qui paralyse la Guinée aujourd’hui. Malgré tout ce qu’on raconte dans les médias, les journaux, les radios ou sur Internet, il faut avoir le courage et l’honnêteté intellectuelle de reconnaitre au-delà de tout esprit partisan, que c’est le gouvernement guinéen qui est responsable de cette crise et la situation d’impasse dans laquelle nous vivons. Soutenir le contraire, c’est simplement faire preuve de mauvaise foi.

                                                                                                       elections transparentes 

Sinon comment veut-on que l’opposition reste indifférente à toute ces manœuvres du pouvoir visant à préparer une fraude électorale qui replongerait le pays dans un système totalitaire ou toutes les institutions du pays sont soumises au diktat du président de la république. Il ne faut pas se voiler la face, cela n’est plus possible car il y a eu trop de morts, de blessés et victimes pour que le peuple de Guinée bénéficie de ses droits chèrement acquis. Il faut se rendre à l’évidence, on ne peut plus revenir sur les acquis démocratiques conquis de haute lutte.

 

C’est ce qui a fait donc que l’opposition n’avait plus d’autres choix que de faire gronder la rue. Surtout qu’il n’y a aucun cadre de dialogue, le pouvoir se contentant de prendre des décisions unilatérales. Heureusement qu’il existe encore une opposition capable d’assumer ce rôle de contrepouvoir, les autres institutions étant devenues de simples caisses de résonance ; sinon la Guinée serait rapidement tombée sous la coupe d’une nouvelle dictature.

 

Sans les dénonciations courageuses de l’Opposition, le pouvoir aurait déjà confectionné une liste électorale sur mesure qui lui permettrait de gagner toutes les élections à venir, que ce soit aux législatives, aux communales ou a la présidentielle. Est-ce d’une telle Guinée dont nous rêvons ?

 

Au moment ou le pouvoir est entrain de placer les militants du parti présidentiel dans toutes les sphères de l’administration en licenciant de manière abusive et illégale les cadres compétents issus des autres ethnies du pays, imaginez un peu ce que serait la Guinée si l’Assemblée Nationale tombait sous leur coupe a la suite d’élections frauduleuses et truquées. Sans nul doute, ils changeront la constitution, mettant en péril même nos libertés fondamentales chèrement acquises. Les dépenses publiques ne seront pas contrôlées car les députés seront réduits à de simples rôles de faire valoir. Les contrats nébuleux sur nos richesses minières seront entérinés et ratifiés sans le moindre examen, compromettant ainsi l’avenir de toute la jeunesse guinéenne. Des lois seront promulguées pour renforcer leur mainmise totale sur le pays. Est-ce d’une telle Guinée dont nous rêvons ?

 

C’est pourquoi il faut rendre un vibrant hommage à Cellou Dalein Diallo et à tous les leaders politiques de l’ADP, du Collectif des partis politiques pour la finalisation de la transition et du CDR pour le combat qu’ils mènent dans la défense des intérêts de tout le peuple de Guinée. Ils sont entrain de se battre sur le terrain dans l’insécurité la plus totale avec tous les risques que cela comporte. Les violations de la loi et les dérapages de toutes sortes qu’ils dénoncent aident les populations à comprendre la situation dans laquelle elles vivent et ce que l’avenir leur réserve. Le combat qu’ils sont entrain de mener, ce n’est pas seulement pour eux-mêmes mais c’est pour tout le peuple de Guinée.

 

Il faut donc les supporter et les encourager à redoubler d’ardeur pour que le droit et la vérité triomphent dans notre pays. C’est un combat noble qui mérite d’être mené jusqu’au bout car plus jamais nous ne devons accepter une autre dictature en Guinée.

Jeunes manifestants

 

Mais ce combat, c’est avant tout celui de la jeunesse. J’ai quitté Conakry le lendemain de la marche du 18 Février 2013. J’ai vu des milliers de jeunes descendre dans la rue sur un simple appel des leaders de l’opposition, sans qu’on ne leur donne le moindre sou ou qu’on leur promette le moindre avantage matériel. J’ai vu des jeunes très motivés, engagés et surtout déterminés. Je les ai regardés droit dans les yeux et j’ai pu lire dans leurs regards qu’ils n’avaient peur de rien. Ils avaient tous entre 18 et 23 ans dans leur grande majorité et j’ai compris que beaucoup d’entre eux étaient prêts a aller jusqu’au bout, au sacrifice ultime.

 

A ce moment là, j’ai compris que le pouvoir se trompe lourdement en pensant que son problème c’est avec les leaders de l’opposition. Il faut qu’ils se rendent à l’évidence, leur grand problème c’est avec cette jeunesse désœuvrée, démunie, abandonnée à elle-même, et sans espoir d’un lendemain meilleur. C’est une jeunesse qui n’a rien à perdre et qui est prête à se battre pour réclamer une meilleure gouvernance, une justice indépendante, des élections propres et transparentes et des emplois rémunérateurs. Le nouveau pouvoir de Conakry ne réalise-t-il pas que ces jeunes sont dans la rue depuis 2006 pour réclamer ces droits ? Quiconque pense qu’il peut s’installer au pouvoir et user de subterfuges pour occulter ces questions aura de sérieuses difficultés avec cette jeunesse. Les acteurs peuvent changer mais tant qu’on n’a pas adressé ces questions, les problèmes demeureront. Cette jeunesse n’est plus disposée à accepter une autre dictature en Guinée.

 

Dans la foule des manifestants, j’ai vu un jeune très propre a l’allure vigoureuse qui s’est adressé a moi en ces termes : « Tonton, vous ne me reconnaissez pas ? », je répondis : « Non, je ne te reconnais pas, je m’excuse ! ». Alors il m’a dit : « C’est Mohamed, Mohamed Camara, vous êtes mon client ; c’est moi qui viens ramasser les ordures a la maison tous les deux jours. »

 

Je n’en revenais pas ! Lui que je voyais toujours sale entrain d’empiler des ordures ménagères dans une charrette dégageant une odeur nauséabonde, je ne pouvais le reconnaitre dans cette tenue si propre, souriant au milieu de tous ces jeunes manifestants. Je lui ai serré longuement la main et lui ai donné une tape dans le dos. J’avais le cœur serré et j’ai compris que Mohamed marchait pour que sa vie change, pour qu’il ait un emploi décent, et pour qu’il vive dans un pays de droit qui donne l’égalité des chances a tous ses citoyens.

 

L’attitude de la communauté internationale

 

Dans le bras de fer qui oppose le pouvoir a l’opposition, la communauté internationale las d’attendre, veut fermer les yeux sur les errements des autorités de Conakry, pour contraindre l’opposition à accepter des élections organisées dans n’importe quelles conditions. A leurs yeux, mieux vaut des mauvaises élections que pas d’élections du tout. Ce qui ne devrait pas être du tout la façon d’opérer de nos partenaires étrangers. Au lieu de voir ou se situe les responsabilités, le droit et la raison, et au lieu de pousser le gouvernement à accéder aux revendications légitimes de l’opposition, ils préfèrent augmenter la pression sur ceux qu’ils considèrent comme les plus faibles car les autres détenant le pouvoir. Une mauvaise élection en Guinée ne résoudra aucun problème et au contraire ne fera qu’attiser les tensions. Il ne s’agit pas seulement de mettre à son actif qu’on a aidé à organiser des élections en Guinée ; cela ne sert à rien si le pays n’est pas stabilisé et les préoccupations des populations ne sont pas prises en compte. C’est ce que les représentants des institutions internationales et ceux des missions diplomatiques doivent comprendre. C’est le résultat qui compte et non pas le fait d’organiser une élection à n’importe quel prix.

 

Aujourd’hui la communauté internationale doit comprendre que les guinéens ne sont plus disposés à accepter des élections frauduleuses, la mal gouvernance, l’injustice dans toutes ses formes, l’insécurité et la corruption. Depuis 2006, la jeunesse guinéenne est entrain de descendre dans la rue pour exprimer ce ras-le-bol. Ce n’est pas une élection mal ficelée, mal organisée et émaillée de fraudes qui pourra arranger cela. Que la communauté internationale le comprenne bien.

 

Il est donc évident que les guinéens doivent compter sur eux-mêmes pour faire de leur pays un état de droit. Ni la communauté internationale, ni aucun autre état ne viendra le faire à leur place. C’est pourquoi la mobilisation doit rester permanente jusqu'à la satisfaction totale de toutes les revendications. Et tant que les leaders resteront à l’écoute des populations qu’ils défendent, rien ne pourra venir à bout de ce mouvement.

 

Quand on veut vivre libre et heureux, on ne marchande pas ses droits !

 

Diallo Thierno Sadou

Washington, USA

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