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11 novembre 2009 3 11 /11 /novembre /2009 03:03
Il y a quelque temps, je promettais à une de nos sœurs un article sur leur rôle dans le changement, en guise d’encouragement dans leurs activités. Leur marche du « Pagne blanc » ce 7 novembre à Paris m’a marqué au point que j’en profite pour m’acquitter de ma promesse, bien qu’avec un peu de retard. Si c’était possible, organiser une marche du même genre à Conakry serait une bonne chose, car le message est direct et poignant. De toutes les façons, les faits historiques, comme l’événement du 27 août 1977 (voir l’appendice, plus bas), ont prouvé que nos sœurs ont les potentialités d’opérer un changement réel dans notre pays.

Le mal de la Guinée est chronique et a atteint un stade critique. Il est étonnant de constater, par exemple, que malgré toute la barbarie commise le 28 septembre 2009, les militaires ont enlevé des gens, hommes et femmes, pour les séquestrer et les soumettre à des traitements inhumains, de toutes sortes, et cela jusqu’à présent dans certains cas. Il est surprenant de voir la junte faire des manigances ignobles pour tenter de minimiser leurs crimes, ou encore pour tenter de se maintenir au pouvoir, après tous ces crimes. Mais, plus surprenant encore est le fait de voir d’autres Guinéens soutenir cette junte ! Même après que certains hauts fonctionnaires aient démissionné, d’autres bondissent sur l’occasion pour les remplacer au service des mêmes criminels ! Quel opportunisme ! Quelle inconscience ! Quelle bassesse !

 

Après ce 28 septembre 2009, je m’étonne vraiment de voir quelqu’un, au nom de quoi que ce soit, sympathiser avec cette junte. Pour ma part, je m’imagine, à longueur de journée, le sentiment d’une femme qui, venant à un meeting pacifique, sans le moindre bâton comme arme, se retrouve dans l’horreur que nous avons vue au stade. Je m’imagine le sentiment d’un homme qui, venant dans les mêmes conditions à ce meeting, se retrouve emprisonné, brutalisé, blessé, rendu infirme ! Que dire des sentiments des parents dont les enfants, se rendant dans les mêmes conditions – pacifiques – à ce meeting, sont devenus des cadavres, dont on a jeté une partie dans la mer, enterré une autre dans des fosses communes ? … Bref, j’imagine les sentiments de toutes les victimes et leurs familles, surtout après la « fête anniversaire » de l’armée, quand les hommes qui ont commis les mêmes crimes sont récompensés par des grades !… C’est vraiment avec les victimes que l’on doit sympathiser, et non leurs bourreaux.

 

Oui, notre mal est devenu si chronique et si intense qu’il semble être incurable, fatal. Mais en fait, si nous le combattons comme il le faut, sur tous les fronts, en joignant nos efforts, non motivés par des intérêts personnels, nous réussirons à l’abolir. Il faut faire monter la pression externe mais surtout interne, à travers les actions des Guinéens mêmes. L’objectif final de notre combat ne doit pas se limiter au départ de la junte (ce n’en est qu’une phase), mais l’institution de l’État de droit. Il faut donc éradiquer la chose qui perpétue les crimes : l’impunité. Il faut insister que les crimes des militaires ne sont pas nouveaux ; les criminels sont des récidivistes inconscients ! Cela peut paraître pessimiste, mais il faut y croire : si ces nouveaux crimes restent impunis, aussi cruel qu’ait été ce 28 septembre, il faudrait s’attendre au pire et sous peu ! D’où la nécessité d’infliger des châtiments exemplaires aux coupables. Il faut que ces crimes soient les derniers commis par les militaires sur le peuple de Guinée, celui-là-même qui les nourrit et les arme. Nous devons nous servir de la douleur de cet événement pour opérer un réel changement dans notre pays. À cet effet il faut passer par tous les moyens légaux et faire fonctionner toutes les composantes de notre société. Justement nos sœurs représentent une composante qui s’est avérée très efficace par le passé. Le 27 août 1977 en est un exemple parmi tant d’autres.

 

En fait, même la junte est convaincue de la puissance de nos sœurs. On ne saurait compter sur les paroles d’un menteur ; n’empêche, je cite le chef de la junte, que nous avons tous entendu le 17 août 2009 dire ceci :

 

« Parce que c’est les femmes !... Le pouvoir, c’est les femmes. Le bonheur, c’est les femmes. [Applaudissements.] Vous jugez nécessaire aujourd’hui… les femmes de Guinée, vous jugez nécessaire aujourd’hui… que vous ne voulez pas…, tout ce que allez dire… moi, je vais vous suivre ! Les femmes… de la Guinée ! »

 

(Téléchargez et écoutez l’enregistrement audio ici : eiemel.com/laguineeenmarche/dadis_aux_femmes_17_aout09.MP3)

 

Femmes de Guinée, fouillez les archives de la Rtg, reproduisez ces paroles, utilisez des haut-parleurs, levez-vous, marchez en les diffusant dans les rues de Conakry – tristes rues sur lesquelles nombre d’entre vous ont été violentées, humiliées le 28 septembre 2009 – et dites donc au dictateur que « vous ne voulez pas » de lui, ni de sa clique. Affrontez donc cet autre dictateur, comme vous savez si bien le faire !

 

Mahmoud Ben Saïd

 

Appendice : Souvenir du 27 août 1977 : Quand les femmes font fuir le responsable suprême de la révolution !

 

(Extrait du livre d’Alpha Abdoulaye Diallo "Portos" « La vérité du ministre. Dix ans dans les geôles de Sékou Touré » Paris. Calmann-Lévy. 1985.)

 

Un incident, au demeurant banal, avait opposé au marché MBalia de Conakry II, un jeune gendarme, Mohamed Keïta, de la police économique, à une marchande. L'incident avait dégénéré en une bagarre générale entre les gendarmes et les femmes. Celles-ci, déjà exaspérées par les multiples exactions et vexations de la police économique, avaient marché sur le palais présidentiel. Le président les connaissant parfaitement, leur avait aussitôt donné satisfaction, en criant haut et très fort :

— « À bas la police économique ! Tuez tout agent qui osera s'attaquer à vous ! »

Les femmes repartiront satisfaites, déversant leur trop plein d'amertume et de rancune sur les différents commissariats de police et les postes de police économique, détruisant tout, brûlant les archives, maltraitant les agents de l'ordre sur leur passage.

Une conférence sera convoquée pour le lendemain dimanche 27 août, au palais du Peuple. La salle du Congrès était pleine de femmes, le front ceint d'un mouchoir rouge. D'entrée de jeu, le président tente de faire acclamer les slogans du parti. Il faut savoir, en effet, que toute réunion du parti est précédée de slogans qu'on crie et qui sont généralement, malgré quelques variantes possibles, les suivants :

— « L'Impérialisme ! crie l'orateur principal.

— À bas ! répondent en chœur les participants.

— Le colonialisme !

— À bas !

— Le néocolonialisme !

— À bas !

— Honneur !

— Au Peuple !

— Gloire !

— Au Peuple !

— Victoire !

— Au Peuple !

— Vive la Révolution !

— Vive la Révolution ! »

À la fin, une voix presque toujours féminine crie et fait répéter à son tour :

« Longue vie au président Ahmed Sékou Touré !

— Santé de fer au président Ahmed Sékou Touré !

— Gloire au président Ahmed Sékou Touré !

— Vive le président Ahmed Sékou Touré !

La réunion ne commence qu'après l'accomplissement de ce rituel devenu quasi religieux depuis le 8e Congrès national réuni à Conakry, du 25 septembre au 2 octobre 1967, et qui, non seulement décida de décerner le titre de « responsable suprême de la révolution » au secrétaire général du parti, mais encore engagea le parti sur « la voie du socialisme scientifique ».

Ce dimanche 27 août 1977 donc, Sékou Touré tente de faire acclamer les slogans du parti. Sa voix est couverte par les chants des femmes, improvisés dans la salle même ; elles disaient en substance :

— « ... Sékou Touré, ce n'est pas ce dont nous étions convenus. Sékou Touré, il n'y a rien en ville que des mensonges. Dans nos marmites ne bout que l'eau... »

Mais le président ne saisit ni le contenu ni la portée de ces chants.

Il commence :

— « Est-ce que c'est bien ce que vous avez fait ?... »

Brouhaha accentué dans la salle. Fily s'approche de lui et lui murmure quelque chose. Il continue :

— « C'est la cinquième colonne qui... »

Le reste se perd dans le tumulte. Les femmes envahissent la scène. Le responsable suprême fuit devant son peuple.

Sur ses instructions, il y aura des coups de feu et des victimes. Le pouvoir sera dans la rue deux ou trois jours ; le général Toya Condé n'osera pas s'en emparer, malgré les pressions qui s'exerceront sur lui.

 

 

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