L’invité de Guinéenews© cette semaine, est Ibrahima Kassory Fofana. Plébiscité récemment à la tête d’une alliance Guinée Pour Tous
(GPT), il est consultant international basé à Washington et CEO de IF GLOBAL LLC. Il a servi en tant que ministre de l’Économie et des Finances ; ministre du Budget et de la Restructuration du
Secteur Public ; ministre et administrateur général de grands projets. Il a également occupé les postes de président du conseil d'administration de la société des télécommunications en Guinée, de
président du conseil d'administration de la Société Guinéenne d'Electricité-Sogel, membre du comité de coordination du programme économique avec la banque mondiale et le Fonds Monétaire
International et de directeur des investissements et de directeur de la coopération internationale.
(…) M. Fofana parle du programme de société et de la stratégie de l’alliance GPT pour la conquête du pouvoir ; des raisons de son départ du
gouvernement en 2000 ; de la conspiration orchestrée par les autorités d’alors dans le but de l’assassiner ; des allégations de détournement de deniers publics qui pèsent contre
lui ; du différend qui a existé entre lui et le doyen Boubacar Biro Diallo (ancien président de l’Assemblée Nationale) ; de ses
appréciations aux actions du CNDD (et) des raisons qui l’ont empêchées d’assister aux obsèques du président Conté ainsi que d’autres questions d’intérêt national. Exclusif !
Guinéenews©
: Vous venez de vous lancer dans la politique avec le Parti du Rassemblement de Travailleurs de Guinée (RGT). Peut-on connaître le
programme de société de votre parti et comment allez-vous le réaliser sur le terrain ?
Ibrahima Kassory Fofana : Je dois avouer
que j’ai eu l’honneur et l’agréable surprise d’être choisi par les dirigeants de ce parti pour présider aux destinées de cette organisation sans avoir été consulté au préalable. Il faut
reconnaître que c’est une marque de confiance en ma personne qui est tout à l’honneur desdits dirigeants. Ce choix a eu un effet d’entraînement chez une bonne demi-douzaine dizaine d’autres
formations politiques et chez une cinquantaine d’organisations de la société civile. En outre, des centaines d'adhésions individuelles ont été enregistrées comme personnes ressources
indépendantes désireuses de m'accompagner dans un projet d’une nouvelle Guinée pour tous, ce qui est un fait nouveau dans le paysage politique guinéen. Mais puisque je n’ai pas le don d’ubiquité,
c’est là qu’est née l’idée de la formation d’une grande alliance. Riches de nos identités mais aussi de nos différences, l'Alliance Guinée Pour Tous (GPT) est une initiative sociétale nouvelle,
une plate-forme de réflexion et d’action de plusieurs partis et organisations de la société civile, et de l'implication personnes ressources. Les composantes proposent aujourd’hui à nos
concitoyens de transcender les clivages d'ordre tribal, politique, corporatiste et voire même de conditions sociales pour concevoir un projet de société viable dans le but exclusif de faire de
notre patrie commune un pays où il fait bon vivre pour tous. Maintenant c'est chose faite : l’Alliance « Guinée Pour Tous » (GPT) est sur pied.
Pour répondre à votre question ne soyez pas surpris que je me limite à dire qu'en termes de projet de société, l'Alliance GPT partage, comme
toute autre organisation socio politique les mêmes objectifs d'unité nationale et paix sociale, de démocratie et progrès social, de développement économique et d’intégration régionale. Cependant,
au delà de ressemblance des objectifs globaux, ce qui va nous distinguer des autres formations politiques en présence ce sont les approches stratégiques et les modes opératoires que l'Alliance
GPT propose à nos concitoyens. Tous les chemins mènent à Rome n'est-ce pas ? Qu'ils soient terrestres, aériens ou maritimes. Mais l'efficacité en termes de délais et le confort du voyage
dépendent des moyens et du mode de transport à choisir. Souffrez qu'en matière du comment nous entendons réaliser notre programme je réserve la primeur de mes vues à mes mandants. En effet mes
vues feront l'objet au préalable de débats démocratiques au sein des composantes de l'Alliance avant adoption comme ligne de conduite puis leur publication.
Comment comptez-vous donner du tonus à ce parti ou à cette alliance à partir de Washington, où vous
vivez depuis plus de huit ans alors qu’en matière de politique c’est le terrain qui commande comme on le dit couramment ?
Je compte être au pays dans les prochains jours. Ceci dit, je veux préciser que dans cette alliance ce n’est pas le leader que je suis qui
décidera de tout. Le consensus sera notre méthode de travail même s’il doit être précédé par des débats vigoureux. Dans cet ordre d’idées, des cadres d’expérience sont déjà au travail sur le
terrain et les perspectives sont plus qu’encourageantes.
Vous êtes donc à la tête d’une Alliance qui rassemble plusieurs partis et organisations de la société
civile. Quelles seront vos chances, stratégies et moyens face à des partis dont certains sont de grande dimension et qui sont sur le terrain depuis plus de dix ans pour conquérir le pouvoir
?
Permettez-moi de paraphraser Corneille dans le Cid quand le Comte faisait allusion à la jeunesse de Don Rodrigue en le traitant de « Jeune
présomptueux !». Ce dernier lui rétorqua en disant : « Je suis jeune il est vrai, mais aux âmes bien nées la valeur n’attend point le nombre des années ».
En politique, ce n'est pas toujours la durée qui est le facteur déterminant. Il me semble que la pertinence des solutions aux préoccupations
sociétales, de même que la clarté des messages aux électeurs sont des facteurs décisifs pour l'adhésion à un projet.
Dans un registre plus concret, les dernières élections américaines en donnent l'exemple. M. Barak Obama était le dernier à venir sur la scène
politique mais c’est sur lui que les américains ont porté leur choix contre certains candidats dont la durée dans la carrière politique est plus ancienne que l'âge biologique du président
élu.
La valeur d’une organisation ne se mesure pas par la durée mais plutôt par la substance de ce qu’elle propose à la société. Je vous promets que
l'Alliance Guinée Pour Tous ne sera pas une autre alliance ou une alliance de plus. Son projet de société est basé sur l’expérience de femmes et d'hommes qui savent de quoi ils parlent.
Les guinéens ont été tellement désabusés qu’ils n’attendent désormais que du concret de la part de ceux qui prétendent leur apporter quelque
chose. Je me place sans fausse modestie parmi ceux des guinéens dont les acquis académiques, professionnels et relationnels sont des atouts importants qui peuvent contribuer à sortir ce pays de
l’ornière.
A propos, malgré un bilan plus ou moins « positif » au gouvernement comme nous l’avons lu dans votre
réponse faite aux allégations de l’ancien Premier ministre Sidimé, quelles furent donc les raisons officielles de votre limogeage du gouvernement en janvier 2000 ?
C’est une longue histoire. D’abord le feu président Conté n’était pas obligé de s’expliquer sur le pourquoi de m’avoir enlevé comme il ne s’en
est pas expliqué quand il m’a invité au gouvernement. C’est dire que le pouvoir de nommer ou de révoquer un ministre est un acte discrétionnaire du président de la République, il n’est par
conséquent pas entouré d’une quelconque obligation de motivation. Ceci étant, mon limogeage a été le résultat d’une forte cabale bien étoffée, l’une des plus grandes tromperies dont le président,
selon son propre jugement, ait été victime durant tout le temps qu’il a passé à la tête du pays. Mais à peine que je sois parti du gouvernement, qu’il s’est rendu compte de la supercherie.
Pendant plusieurs années, il a commis des amis et des membres de la famille pour me faire revenir, hélas je n’étais plus intéressé parce que mes blessures étaient encore très profondes ; parce
que mes principes dont je suis et reste esclave avaient été violés et de manière violente. Vous vous souviendrez certainement qu’avec l’effet du temps qui est le maître de la sagesse et eu égard
à la perte de repères dont il était l’objet, j’ai enfin accepté de venir répondre à son appel. Le Premier ministre Kouyaté venait d'être nommé. Joint par celui-ci depuis Abidjan avant de
rejoindre son poste, il me suggère très amicalement qu’il est temps que je revienne au pays. J’ai dit que sa nomination me donnait l'occasion d'envisager une visite au pays sans me voir en
situation difficile de dire non au président quant à mon retour au gouvernement, donc le retour définitif en Guinée n’était pas dans mes projets. Le président est venu personnellement
m’accueillir à l’aéroport et m’a raccompagné également à mon départ de Conakry en dépit de la précarité de sa santé. Ce qui était, on ne peut plus, le signe concret d’un attachement assez
considérable à ma modeste personne ou en tout cas d'une appréciation plutôt positive de notre collaboration. Ceux qui savaient le dessous des choses ont analysé le geste comme une façon de
s’excuser.
En quoi a consisté cette grande tromperie ?
Écoutez ! L'entourage présidentiel à l'époque a fait un montage politico-policier des plus machiavéliques, plutôt digne de la Gestapo. La
machination a consisté à manipuler le président sur un prétendu coup d'État qui serait à un stade très avancé de préparation et dont je serais l'instigateur. Un concours de circonstances donnera
l'occasion rêvée à cet entourage de fournir un minimum de substance à son allégation de complot. Nous sommes en janvier 2000. Le président Conté décline l’invitation qui lui est faite de prendre
part à un Sommet africain avec le Fonds Monétaire International devant se tenir à Libreville. Le directeur général du Fonds à l’époque, M. Michel Camedessus, me charge d'intercéder auprès du
président pour reconsidérer sa position étant donné qu'à cette époque la Guinée figurait dans le pelletons de tête des pays dits "à succès" dans l'exécution du programme avec le Fonds Monétaire.
En effet, la revue du programme guinéen de la FASR venait d'être approuvée quelques semaines auparavant par les Conseils d’Administration du FMI et de la Banque Mondiale. J'insiste donc auprès du
président pour qu’il accepte de participer au Sommet de Libreville. Il finit par céder à ma plaidoirie à l'issue d'âpres discussions. Comme il est de coutume, je l'ai donc devancé de deux jours à
Libreville pour la conférence ministérielle qui précédait le Sommet des chefs d'État. C’est le jour de son départ pour Libreville, alors qu'il s'apprêtait pour l'aéroport que l'on en vient à la
découverte d'un complot imminent monté de toutes pièces que j'aurais fomenté et qui aurait été exécuté dès sa sortie du territoire national. Et de soutenir que mon insistance pour le départ du
président à Libreville s'inscrivait dans le cadre de la mise en œuvre dudit complot. Comme si cela ne suffisait pas, l'on arrange des visites et coups de fil téléphoniques entre le président, des
marabouts, et autres charlatans et joueurs de cauris pour attester l'idée de complot et lui fournir des "hints' comme quoi il devait absolument se débarrasser, sans délai, de l'un de ses plus
proches collaborateurs, alors en déplacement à l'étranger car ce collaborateur serait au centre d’un coup d'État en préparation. Bien évidemment, j'étais ce collaborateur en déplacement. Le
président annula in extremis le voyage de Libreville. Je rentre à Conakry après le Sommet et je fus limogé le lendemain de mon retour.
Mais la conspiration ne s'est pas arrêtée là, il restait un dernier acte. Elle devrait se poursuivre par mon arrestation pour complot, et pire
mon assassinat. Je l'ai appris du président lui même. Contrairement à ses habitudes de ne pas recevoir ses anciens collaborateurs du gouvernement une fois remercié, il m'a téléphoné à venir le
voir deux jours seulement une fois sorti du gouvernement. Il venait d'être mis au courant de cette vaste machination. Un des conspirateurs aurait trahi le groupe pour l'informer de ce qui se
tramait contre moi : une arrestation pour complot suivie d'élimination physique. On aurait par la suite justifié ma mort, après coup, au regard du président de la République et de l’opinion, par
une crise cardiaque. Je l'ai su parce que le président me l'a dit en personne. Il a pris des mesures conservatoires en instruisant, selon lui, à son conseiller à la sécurité d’alors Amadou
Camara, "de veiller à ce que rien n'arrive à Kassory". Je n'ai pas pu vérifier l'information avec le frère Amadou Camara car j'ai quitté la Guinée le lendemain de cette entrevue avec le
président. Un fait troublant cependant : à l’occasion de mon départ de Conakry, la police de l’air et des frontières aurait tenté d'empêcher mon embarquement sous le prétexte fallacieux qu'elle
aurait des instructions expresses de la présidence de la République de ne pas me laisser sortir de la Guinée. Si cette information s'avérait juste, cela veut dire que j'étais déjà un prisonnier
virtuel. Et il n'y a pas de raison de ne pas y croire car ceci m'a été confirmé par la suite par mes amis les ministres Cellou Dalein Diallo et Sékou Koureissy Condé qui m’ont accompagné à
l’aéroport. Ce dernier, alors ministre de la Sécurité avait engagé sa responsabilité personnelle à me laisser partir car lui il était au courant de mon entrevue avec le chef de l'État dont les
conspirateurs n’avaient pas encore eu le « feedback ».
Mais qui sont ces conspirateurs ?
Le président ne m’a pas donné de nom spécifique. Il m’a simplement dit qu’il a compris la machination qui était orchestrée contre ma personne. A
cet effet, comme je viens de le dire, il a donné des instructions fermes à son conseiller Amadou Camara de veiller de veiller à ce que rien ne m’arrive !
Vous êtes accusé par vos détracteurs d’avoir participé au pillage des deniers publics en Guinée.
L’argument utilisé est que votre salaire de ministre guinéen ne peut en rien donner l’explication de votre train de vie en Amérique. Avez-vous des ressources vérifiables qui peuvent contredire
ces détracteurs par rapport à votre mode de vie aux États-Unis ?
Ma portion congrue est que tous les ministres du président Conté sont des « voleurs ». J’ai été son ministre donc je suis forcement « voleur ».
Je crois que j’ai commencé à donner des éléments de réponse dans ma lettre ouverte au CNDD. Jusqu'en l'an 2000, à mon départ du gouvernement, la Guinée n'était pas si mal gérée. En fait, notre
équipe gouvernementale à l'époque dénommée l'équipe « Sidya Touré » a remis l'économie à flot de 1996 jusqu’à mon départ du gouvernement, même si, entre temps monsieur Sydia a été remercié du
gouvernement. C'est cela la vérité que confirme d'ailleurs l'existence d'un programme formel avec les institutions de Washington.
Dans le monde d'aujourd’hui, la norme internationale est que le quitus du Fonds Monétaire est une preuve de bonne gestion économique, ou en tout
cas, la preuve que les tendances macroéconomiques évoluent dans la bonne direction. Je le répète ici, le gouvernement Sidimé est la source de toutes les dérives du régime Conté : tripatouillage
de la constitution, violations des droits de l'homme, gabegie financière institutionnalisée, etc…. Le corollaire de tout cela a été la descente aux enfers pour les guinéens dans leurs conditions
de vie et les troubles sociaux qui s’en sont suivis.
Pour en venir à ma modeste personne, bien qu’il revienne à mes détracteurs de prouver leurs allégations, je vais quand même vous donner quelques
indications de ce que vous appelez train de vie. Je vis dans une maison, que j’ai achetée à crédit à la sixième année de mon séjour en Amérique, et je conduis une voiture que j’ai acquise en
seconde main depuis 2001. J'ai une deuxième voiture que j'ai achetée à crédit depuis deux ans pour ma famille. Je ne suis certainement pas misérable Dieu merci, mais je mène une vie bien à la
portée de milliers de nos compatriotes ici et ailleurs dans le monde. Malgré tout ce qui a été dit ou écrit je n'ai que la seule maison à l'étranger. Au pays je n'ai pas posé une brique après mon
accession à la fonction ministérielle jusqu'à mon départ du gouvernement. J'ai deux maisons à Conakry et une à Forécariah toutes construites sur la période 1983-1993. Celle de Forécariah n’a été
achevée que pendant mon séjour aux États Unis. Je suis fier de pouvoir dire malgré toutes les élucubrations dont j’ai été victime, je n'ai fait aucune acquisition de patrimoine immobilier public
à mon profit ou en faveur d'un des miens. Vous ne trouverez même pas un terrain de l'État transféré à mon nom ou pour le compte d'un membre de ma famille. Et pourtant, le patrimoine bâti relevait
de mon autorité en ma qualité de ministre des Finances à l'époque.
Je voudrais aussi préciser que je suis le seul ministre qui, pendant les vingt cinq dernières années, a mené une lutte sans merci contre la
corruption. Cette lutte s’est soldée par l’arrestation et la radiation de cadres de haut niveau, y compris dans mon département, sans même me soucier d’être dénoncé par qui que ce soit et pour
quoi que ce soit. Dans mes efforts de lutte contre la corruption des milliards d'argent détournés ont été recouvrés en mon temps, des bâtiments privés ont été saisis en gage de remboursement, et
des poursuites judiciaires engagées contre les délinquants.
Encore une fois, je crois que la plate-forme politique offre l’opportunité de débattre de tous ces problèmes pour permettre aux guinéens de se
rendre compte que nous ne sommes pas tous pourris comme ce que j’ai appelé les « non initiés » veulent le faire croire. Je salue l’initiative prise par le CNDD et qui a fait hier (samedi 4
juillet 2009, ndlr) l’objet d’un communiqué de presse portant sur l’audit de tous les gouvernements en Guinée dans le dernier quart de siècle. Certains amis m’ont suggérés de renoncer à mon
voyage en Guinée en raison de cette nouvelle donnée. Je dis non ! Bien au contraire, je confirme mon voyage pour la Guinée et suis disposé à me soumettre à tout audit.
Pour ce qui est de mes revenus, j’ai une société qui s’appelle IF Global. Comme n’importe quel business, j’ai des hauts et des bas. En plus si
je suis riche de quelque chose, c’est bien de mon carnet d’adresses suffisamment étoffé pour dénicher des opportunités d’affaires à saisir à travers le monde.
Tout de même l'on se souvient d'une conférence de presse de l'ex président de l'Assemblée Nationale, El
hadj Biro à son retour d'un voyage des États Unis en 2001 au cours de laquelle, il a informé l'opinion guinéenne que vous auriez été arrêté à votre arrivée à l'aéroport de New York avec une
mallette contenant 6.000.000 de dollars américains. Malgré la saisie de ce montant, vous auriez acheté immédiatement un immeuble entier à Manhattan. A notre connaissance, vous n'avez jamais
répondu à ces accusations pourtant assez graves. Doit on en déduire que le silence est un aveu ?
Pas du tout ! J'avais décidé de faire un trait sur ma vie publique et ceci, quel qu'en serait le prix à payer, en termes de discrédit par
exemple. En l'espèce, pouvez-vous imaginer que dans le monde contemporain, qu'on puisse transporter des millions de dollars en espèces sonnantes d'un pays à l'autre ? Peut-on saisir un tel
montant en possession d'une personne et que celle-ci bénéficie encore du droit d'entrer et de résidence aux USA ?
Pensez vous qu'il soit financièrement à la portée d'un Africain, de surcroît un Guinéen, fut-il ministre des Finances, de s'acheter un immeuble
dans Manhattan ? Il s'agit là d'une question de centaines de millions de dollars qui dépassent la capacité financière même de l'État guinéen.
En vérité, le doyen El hadj Biro a juste répété les affabulations qui alimentent à dessein, la rumeur publique. A cela, il faut ajouter que nos
rapports professionnels avaient été entachés de petits différends.
Peut-on connaître la nature de ces différends ?
Ce n'est vraiment pas important. Ceci n'avait rien de personnel en réalité. On s'est d'ailleurs réconcilié par la suite, car la plupart de ses
enfants sont des amis à moi.
Mais si vous tenez à savoir la nature du différend, c'est que le Doyen n'admettait pas que je restructure le budget de fonctionnement de
l'Assemblée Nationale ou que je me permette de réduire des allocations pour ses missions à l'étranger ou celle de ses collègues députés comme je le faisais pour tous les officiels. Je me souviens
que nous avons eus, par moment, des échanges épistolaires parfois épiques. Il m'a écrit par exemple en ces termes : " Monsieur le ministre des Finances, vous devez savoir qu'en ma haute qualité
d'élu du peuple de Guinée j'ai le droit de disposer pleinement de mon budget." Et moi de répondre : "Monsieur le président de l'Assemblée Nationale, je vous prie de noter qu'en ma modeste qualité
de fils du peuple de Guinée, j'ai le devoir de réguler la dépense publique en fonction des recettes, compte tenu du programme d'ajustement structurel en cours d'exécution".
Toutefois, dois-je préciser que ce genre de différends était chose courante entre le ministre des Finances que j'étais, soucieux des équilibres
financiers et la plupart des officiels du pays pour les mêmes raisons (les épouses du président de la République, le cabinet présidentiel, mes collègues ministres, etc...).
Pourquoi c’est seulement maintenant que vous-vous lancez en politique alors que depuis longtemps la
Guinée est en état de déliquescence ?
Je ne veux pas faire de la politique parce que je n’ai rien d’autre à faire. Le pays est à la croisée des chemins. L’avènement du CNDD est une
opportunité unique pour les guinéens pour mettre une fois pour toute notre patrie sur les rails. Il faut qu’on sache s’y prendre dans un esprit de dialogue en ayant à l’esprit que la seule chose
qui vaille est la patrie. J’ai non seulement une vision, mais des idées précises comment faire que la Guinée et les guinéens trouvent le salut. Je suis convaincu que le sort actuel de la Guinée
n’est pas une fatalité ; nous pouvons faire la différence.
Comment voudrez-vous être étiqueté ? Un opposant radical ou modéré ?
Je crois que dans le paysage politique actuel on ne peut pas parler d’opposition dans le sens politique du mot. Car le CNDD librement, se veut
un pouvoir de transition qui n’est, par conséquent, aucunement en compétition avec les acteurs politiques. Moi j’entre en politique dans un esprit de dialogue à ne pas confondre avec la
compromission. Car pour ma patrie, je suis un radical qui ne fait aucune concession quand il s’agit de l’intérêt supérieur de la nation. Je suis quand même un modéré dans le dialogue patriotique
pour peu qu’il s’agisse de construire le consensus politique.
Pourquoi n’avez-vous pas assisté aux funérailles du président Conté avec qui vous sembliez pourtant
être si proche, contrairement à tant d’autres amis qui ont fait le déplacement de très loin pour Conakry ?
Sans être présent, j’ai pourtant porté le deuil du feu président plus que beaucoup d’autres qui étaient juste là pour la parade. Les raisons de
mon absence étaient d'ordre sécuritaire. Chaque fois qu’il y a un changement de régime en dehors d’une alternance démocratique, il y a toujours une période de flottement pendant laquelle la
passion l’emporte sur la raison. Mais à présent, les choses vont nettement mieux. J’attends incessamment de rentrer pour me recueillir sur la tombe de feu le général président.
Quelle appréciation portez-vous sur les actions réalisées par le CNDD en 6 mois de gouvernance
?
Je vais vous faire une confidence. Dans la nuit du 23 décembre 2008, c’est un ami au sud des États-Unis qui m’a réveillé pour me parler de la
prise du pouvoir par les militaires. Les heures qui ont suivi ont été ponctuées par des condamnations internationales du coup d'État. Ma première réaction a été de prendre contact avec quelques
chefs d’État dans la sous région, entre autres, les présidents Maître Abdoulaye Wade et Amadou Toumani Touré pour leur suggérer d'aider à circonscrire la position de principe de la communauté
internationale. Il faudrait, ai-je soutenu éviter une politique d'isolement qui, à l'instar du traitement fait à la Guinée-Bissau lors du premier coup d'État renvoyant le président Nino du
pouvoir risquait de jeter la junte dans les mains de narco trafiquants et favoriser la déliquescence de l'État. Ce faisant, je ne connaissais pas encore ni d’Adam ni d’Ève les nouvelles autorités
du pays. Ma préoccupation était la Guinée. Il fallait éviter que les narcotrafiquants ne récupèrent la situation par voie de corruption comme cela s’est passé en Guinée Bissau. Voici une des
facettes pour moi d’aimer mon pays.
Le CNDD a entrepris des chantiers extrêmement utiles à mes yeux : notamment la lutte contre le narcotrafic et les audits. La moralisation de la
vie publique dans laquelle je m’étais personnellement investi dans le passé est un autre aspect appréciable de leurs actions. La volonté du CNDD de restaurer de l’autorité de l’État est d’une
impérieuse nécessité dans la perspective d’une démocratie vraie. Si ces actions sont nobles à ne pas en douter, la performance du CNDD dans le processus en cours peut être largement améliorée
afin d’être plus rassurante tant pour nous les guinéens que pour la communauté internationale. En effet, plus de lisibilité aussi dans la trajectoire vers le retour à l’ordre constitutionnel
pourrait aider à faciliter les choses.
Selon vous est-il opportun d’organiser des élections avant la fin de cette année 2009 ?
Écoutez, autant une hirondelle ne fait pas le printemps, les gens doivent réaliser que ce n’est pas une élection qui ferait la démocratie. Ma
conviction est que dans une élection le plus important ne me parait pas le « quand » mais plutôt le "comment". Je ne veux pas dire que la date n'est pas importante. J’ai juste utilisé un
superlatif absolu pour mesurer le degré de priorité entre le quand et le comment. Je crois que l’essentiel est que chacun de nous doit s’investir pour que des élections crédibles et acceptables
par tous soient organisées. Les conséquences d’une élection bâclée dans un environnement de peu de culture démocratique seront incommensurables.
Pourquoi à votre avis, l’opposition guinéenne n’arrive toujours pas à avoir le pouvoir en Guinée
?
I.K.F : Il faut en chercher les raisons dans la faiblesse et la fragilité de nos institutions dites républicaines. Une démocratie se traduit
dans la crédibilité dont jouissent les institutions qui la symbolisent. Sans institutions fortes, respectables et respectées dans toute leur plénitude, il n’y a pas de démocratie et naturellement
dans un déficit de démocratie, il n’y a pas d’alternance possible. L’un des aspects sur lequel l'Alliance GPT mettra l'accent précisément est celui relatif aux institutions pour promouvoir un
environnement favorable aux libertés démocratiques et à l’initiative privée.
Enfin, quels analyse et message avez-vous à lancer pour consolider la démocratie, le respect des droits de l’homme et la bonne
gouvernance en Guinée ?
Les derniers événements nous offrent l’ultime opportunité de nous réconcilier entre nous, et avec nous-mêmes en créant une vraie démocratie.
Ceci sous-entend :
- Une jouissance pleine et entière des guinéens de leurs attributs de citoyenneté. La citoyenneté suppose des droits, notamment ceux contenus
dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et en principe dans la Loi Fondamentale. Mais ces droits sont consubstantiels à des devoirs dans le but de créer une harmonie nationale et
une intégration à la civilisation universelle.
- L'existence d’un État de droit, en d’autres termes, il s’agit d’un système et d’une pratique fondés sur l’autorité de la loi, dans lequel
l’État et les citoyens y sont scrupuleusement soumis.
Dans le projet de société que l’Alliance GPT présentera en son temps aux guinéens, l’accent est mis sur la nécessité d’un regard rétrospectif
sur notre nation en construction. Ce regard portera sur les problèmes de gouvernance, déjà initiés par le CNDD et les problèmes des crimes politiques et d’autres atteintes flagrantes aux droits
de l’homme. Il est essentiel et même vitale qu’une conférence nationale se tienne à un moment donné pour clarifier certaines pages sombres de notre histoire récente. Elle devra se tenir dans la
sérénité et sans passion pour éclairer l’opinion sur ce qui s’est passé, en situer les responsabilités et favoriser le pardon et la réconciliation nationale. Il me semble, que c’est à ce prix et
uniquement à ce prix que la réconciliation que les guinéens appellent de tous leurs vœux peut être possible par un dépassement de soi-même. Nous devons assumer notre passé, si douloureux soit-il,
l’écrire dans sa vérité historique, en fournir le témoignage aux générations futures pour d’utiles leçons pour l’avenir.
Interview réalisée par Youssouf Boundou Sylla avec la collaboration de Boubacar Caba Bah, pour Guinéenews©
Pour toute réaction à cette
interview, l'invité souhaite être contacté à cette adresse : ibrahimakfofana@verizon.net