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19 août 2012 7 19 /08 /août /2012 00:09

Mamadou Billo Sy Savané, un Guinéen vivant en France, régulièrement présent dans les médias où il apporte ses critiques et suggestions sur la vie politique en Guinée, a accordé récemment une interview à notre confrère Le Lynx. Dans cette interview, il revient sur la dernière présidentielle (les conditions dans lesquelles Alpha Condé a été élu) et la situation actuelle du pays. A lire absolument…

 

Le Lynx: Quelle lecture faites-vous de la situation politique en Guinée ?

Mamadou Billo Sy Savané: Je suis en Guinée, il y a un peu plus de deux mois. La situation me parait un peu confuse dans la mesure où depuis la présidentielle, l’élection législative qui aurait pu avoir lieu au plus tard six mois, est toujours en train d’être repoussée sous différents arguments dont je ne vois pas très bien le fondement. J’ai l’impression que du point de vue politique, le président Alpha Condé veut gouverner ce pays par décret et s’il peut se passer d’une Assemblée nationale, il ne s’en plaindrait pas.

Vous voulez dire que c’est Alpha Condé qui bloque les législatives ?

Je pense que c’est monsieur Alpha Condé qui bloque les législatives, même s’il n’est pas le seul. La responsabilité finale revient à lui. Pourquoi ? Parce que c’est lui qui a la procédure légale qui permet de déclencher l’élection. Il ne le fait pas. Deuxièmement, c’est lui qui a pris l’initiative, j’emploie le mot à dessein, de tenter de falsifier la liste électorale qui lui a permis d’être élu lui-même président de la République. Quand on prend ces deux responsabilités, il est évident qu’on porte l’entièreté de la responsabilité de la situation actuelle. Même si on peut faire des critiques à certains opposants.

A votre avis quelles sont les insuffisances de l’opposition ?

J’ai bien dit que si Alpha Condé a des responsabilités sur la situation actuelle, l’opposition en a aussi. A partir du moment où le président de la République entreprend de falsifier les listes électorales, l’opposition n’avait pas seulement à multiplier les conditions qui, chaque fois que l’une est remplie, on en sort d’autres. L’opposition avait à demander simplement que la liste électorale qui avait servi à l’élection du président serve à aller aux législatives. Point ! Elle aurait dû s’en tenir à cette formule. C’est cela la vraie responsabilité de l’opposition.

L’opposition se bat pour le maintien de la SAGEM, c’est Alpha Condé qui impose Waymark…

J’ai l’impression que l’opposition ne sait pas argumenter les raisons pour lesquelles elle s’oppose au désir d’Alpha Condé. Quand on écoute les opposants, ils s’en tiennent à des arguments techniques liés au manque d’appels d’offres. Selon moi, cela ne peut pas être lié aux raisons suffisantes. Il y a des raisons beaucoup plus valables, il fallait dire tout simplement que nous ne tolérerons aucune autre liste que celle qui a été choisie pour vous faire élire président. Deuxièmement, nous exigeons que les législatives se tiennent dans le délai légalement imparti.

Il y en a qui pensent qu’il n’y aura pas de législatives dans les cinq ans, est-ce votre conviction ?

Je suis intimement persuadé que monsieur Alpha Condé n’est pas décidé à organiser une élection législative ou ne l’organisera que si elle se déroule dans les mêmes conditions que l’élection qui lui a permis de s’installer à la présidence, alors qu’il avait été éliminé de la compétition électorale dès le premier tour. J’insiste bien sur ce point, je l’ai dit, je l’ai écrit et j’ai pris même comme témoins l’ambassadeur des Etats-Unis, l’ambassadeur de France et d’autres représentants des Institutions occidentales. J’ai écrit que monsieur Alpha Condé avait été éliminé dès le premier tour de la compétition électorale.

Quelles sont vos sources ?

Je ne vais pas vous révéler mes sources, sinon elles vont avoir des problèmes. Moi, je n’ai pas de problème à vous révéler mes informations, parce que je ne dépends pas de monsieur Alpha Condé; je ne dépends pas non plus de l’Administration guinéenne. Par bonté à l’égard de ceux qui m’informent, je ne vais pas vous révéler mes sources. Mais elles sont très sûres. J’ai les mêmes sources d’information que l’ambassadeur des Etats-Unis, les mêmes que l’ambassadeur de France, pas celui qui est-là maintenant, celui qui est rentré. Le jour où eux-mêmes révéleront leurs sources, je le dirai. Mais, je ne vais pas mettre en cause le travail et la sécurité de ceux qui m’informent.

Qui devait passer au premier tour avec Cellou Dalein ?

Cellou Dalein, c’était indiscutable. C’est pour cela, ils l’ont laissé passer au premier tour. Sidya a eu entre 22% et 27% au premier tour. Alpha Condé a eu 11,58%, ils ont arrondi à 18%.

A votre avis, pourquoi c’est Cellou et Alpha et non Alpha et Sidya ou Cellou et Sidya ?

Il y a plusieurs raisons. La première est que le président de la Transition, Sékouba Konaté (El Tigre), c’est exactement celui à qui il ne fallait pas confier une transition. Pour entre autres raisons, il suffit qu’il y ait un billet de banque devant Sékouba Konaté pour qu’il commence à trembler. Il peut signer n’importe quel dossier. J’ai la certitude que d’importantes sommes d’argent ont été promises à Sékouba Konaté s’il faisait arriver Alpha Condé au deuxième tour. La question d’argent est l’une des raisons. Il y a quelques mois, le Colonel Moussa Kéïta l’avait évoqué. C’était la principale opposition entre Konaté et Dadis. Ce dernier est intéressé par le pouvoir, l’autre par l’argent. Il a vendu le premier tour à Alpha Condé.

L’autre raison, il y a eu beaucoup de pression de la part de ce qu’on appelle l’Union du mandingue “ Coordination de la Haute Guinée ”. Tous les jours, ceux qu’on appelle les sages du mandingue, étaient dans le bureau de Sékouba Konaté, pour demander qu’Alpha Condé soit au deuxième tour.

Alors pourquoi c’est Sidya qui a été sacrifié?

La raison est simple, Sidya appartient à la plus petite minorité ethnique. Les deux grandes ethnies ayant choisi d’ethniser le débat politique dès le premier tour, personne n’osait prendre le risque d’éliminer Cellou au premier tour. Parce qu’il a suffisamment de personnes qui descendraient dans la rue. Sidya ne pouvait pas avoir tant de personnes. C’est la raison qui a fait que Sékouba Konaté a préféré éliminer Sidya, bien qu’il avait plus de 22%.

Il y en a qui pensent que Cellou Dalein a été élu dès le premier tour. Quels étaient ses résultats ?

Personne ne pouvait être élu dès le premier tour, il a eu 39%. C’est déjà beaucoup. Il était très en avance, mais il ne pouvait pas être élu au premier tour. Regardons, les deux candidats avaient ethnisé le débat. C’est l’ethnie qui faisait la différence. Pensez-vous qu’il y a plus de 51% des peulhs en Guinée ? Non ! Cellou a eu 39 % au premier tour. J’ai envoyé un message à Cellou à travers un journaliste de L’Observateur, quand Sidya a été éliminé. Je lui ai dit: va dire à Cellou de ne pas croire qu’on va éliminer Sidya à son profit. Ils ont éliminé Sidya, ils ne vont pas s’arrêter en si bon chemin. Ils iront jusqu’au bout, c’est-à-dire éliminer Cellou en faveur de Alpha Condé. Je ne sais pas si j’ai été entendu ou pas, il parait que Cellou était sûr d’être élu. Alors que c’est de la naïveté de sa part.

Malgré tout, les Guinéens croyaient qu’avec Alpha, il y aurait eu le changement. A votre avis, qu’est-ce qui empêche le président de tenir ses promesses électorales ?

J’ai été un peu surpris quand même ! Je savais Alpha Condé incapable, mais je ne l’imaginais pas nul à ce point, honnêtement ! Ensuite, les Guinéens qui s’attendent à ce qu’une promesse faite par Alpha Condé soit réalisée, sont naïfs. Alpha Condé n’a fait aucune promesse. Sa campagne a consisté à dire que Sidya est corrompu, il a été premier ministre. Cellou est corrompu, il a été premier ministre. Quand je vais arriver, je vais faire un audit. Ce n’est pas un programme cela, les Guinéens ne peuvent pas dire qu’ils sont déçus. Il n’a rien promis, il est venu pour s’enrichir et il est en train de le faire.

A mon avis, nous Guinéens, nous devons avoir le courage de prendre notre destin en main. Ce pays-là est le nôtre, il n’est pas le pays d’Alpha. Alpha et ses parents ont été accueillis par nos parents et nos grands parents à nous. Il est tout à fait anormal d’abandonner notre pays dans les mains de celui dont les parents ont été accueillis par les nôtres. Nous devons diriger notre pays, nous devons porter protection et aide à Alpha Condé. Il n’a pas à être-là où il est. Il peut devenir Guinéen à condition d’avoir entrepris les démarches d’acquisition de la nationalité guinéenne.

Des dirigeants ne cessent pas de fustiger l’opposition qui manquerait de maturité et de stratégie. Est-ce votre avis ?

J’ai des critiques à formuler à l’endroit de l’opposition, mais pas à ce point. En Afrique, toutes les critiques se concentrent sur l’opposition. L’opposition est incapable, mais l’opposition ne peut que s’opposer et avec les moyens dont elle dispose. Dans les pays comme la Guinée, l’opposition n’a pas beaucoup de moyens. Je les critique, mais je leur rends hommage. Je me rappelle les journées de janvier et février 2007. On ne peut pas dire que tout cela n’est rien. En septembre 2011, l’opposition a organisé une manifestation et Alpha Condé a tiré sur deux ou trois personnes qui n’ont rien fait. On peut contester l’efficacité de certains de leurs mouvements, mais on ne peut pas dire qu’ils n’ont rien fait. Sidya et Cellou, je les trouve immatures, je dis bien ils sont immatures. Ayant été Premiers ministres, ils croient voir tout et comprendre tout. Ils se trompent. La preuve est qu’Alpha n’a jamais été Premier ministre, mais il les a coiffés au poteau. Ils n’ont pas à chercher des experts d’ailleurs. Je prétends être le plus grand expert de la Guinée, vous êtes aussi le plus grand expert de la Guinée. On peut toujours demander le soutien de l’extérieur, mais on mobilise d’abord ceux du pays qui sont capables. Je prétends que je suis aussi capable que monsieur Blaise Compaoré, même si je n’ai pas été chef d’Etat.

Un dernier mot ?

Un message d’inquiétude. Je vois que depuis qu’il est arrivé, monsieur Alpha Condé parle des contrats miniers, signe des contrats clandestins avec beaucoup d’argent. On ne sait pas par où passe cet argent. Je suis inquiet, parce que dans tous les pays du monde, partout où l’on a misé sur l’exploitation minière, cela a été une catastrophe totale, si ce pays n’était pas déjà développé. Or nous, on est un pays sous-développé ! L’exploitation minière est la catastrophe de la Guinée, ce sera le chaos si on n’y met pas fin ou si on n’y met pas un peu d’ordre. Je pense que monsieur Alpha Condé n’en est pas capable, parce que dans les mines, il y a beaucoup trop de corruption.

 

Interview réalisée par 

Abou Bakr et Th. Hassane Diallo


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