Aucun parti politique seul, aucune ethnie seule, aucune région seule, aucune coalition d’intérêts partisans seule, ne pourra sortir aujourd’hui notre pays de l’ornière. Il nous faut un grand sursaut national pour faire un dialogue ouvert et tolérant n’excluant personne, afin que nous puissions amorcer un réel redressement national.
Guinéennes et Guinéens,
J’écris cette lettre ouverte en ma qualité de simple citoyen guinéen à toute la classe politique de notre pays : pouvoir et opposition après une longue période d’observation et de réflexion. C’est à l’issue de cette réflexion que j’en appelle aujourd’hui au sens des responsabilités de tout un chacun.
Dans la situation actuelle aucun patriote sérieux ne peut se taire ou fermer les yeux sur la réalité dramatique que constitue le quotidien de nos compatriotes. A côté de la misère économique et morale des populations, c'est l'insécurité qui gangrène de plus en plus le pays avec un risque réel pour la paix sociale. C'est le vrai danger pour l'ensemble de la Guinée, si nous ne prenons pas garde. Les derniers évènements tragiques: les tueries de Zogota et les émeutes de Siguiri viennent mettre en lumière la situation dramatique que vivent nos populations dans l'impunité la plus absolue. Ces évènements tragiques démontrent une fois de plus que les difficultés sociopolitiques de notre pays relèvent plutôt de la mauvaise gouvernance, et que nos divisions ethno-régionales en sont aussi indirectement la conséquence.
C’est l’occasion de m’incliner devant les dépouilles mortelles des victimes de ces évènements ; de présenter mes sincères et douloureuses condoléances aux familles éplorées. Je n’ai pas de mots assez forts pour condamner les auteurs et les commanditaires de ces barbaries perpétrées de sang froid contre ces populations. Les tueries récentes et toutes celles perpétrées depuis les élections présidentielle 2010 restent à l’actif du gouvernement actuel qui doit tout mettre en œuvre pour faire la lumière sur ces massacres de populations civiles.
A l’heure actuelle, tous les guinéens et tous les amis de la Guinée constatent que la situation sociopolitique dans notre pays devient de plus en plus inquiétante sur les questions des droits de l’homme, de justice, ou de démocratie, en somme de l’Etat de droit. Nous nous sommes battus depuis de longues années contre le régime militaire de la seconde république pour l’instauration d’une Démocratie et d’un Etat de droit, la jeunesse a payé de son sang, les femmes guinéennes ont subi les pires exactions et humiliations le 28 Septembre 2009 ; elles ont payé de leur vie pour qu’il ait un vrai changement.
Cela fait maintenant vingt mois que nous avons fait une élection présidentielle, dont les résultats ont été acceptés par l’ensemble de la classe politique, malgré plusieurs contestations. Cette élection, la première du genre dans notre pays avait suscité un immense et réel espoir dans les différentes couches sociales du pays. Cet espoir allait même au-delà de nos frontières, car la communauté internationale qui a été au chevet de la Guinée tout au long du processus électoral a largement salué l’évènement. Aujourd’hui force est de constater que cette élection de 2010 n’a pas levé l’hypothèque politique du pays, car le dialogue entre pouvoir et opposition est désespérément dans l’impasse. Les immenses sacrifices du Peuple de Guinée n’ont pas été couronnés d’un réel succès, les résultats d’un vrai changement se font toujours attendre. Tous les guinéens de toutes régions, et de toutes ethnies, confondues constatent l'impasse sociopolitique dans laquelle patauge notre pays. La Guinée est enlisée dans une transition interminable.
C'est devant ce blocage, que je lance un nième appel à toute la classe politique guinéenne (pouvoir et opposition) afin qu’elle prenne ses responsabilités, et qu’elle mette l’intérêt de l’ensemble de notre pays au dessus des intérêts partisans. Le Professeur Alpha Condé, président de la République a hérité d’un système prédateur et corrompu qu’il n’a pas voulu changer et qu’il ne peut pas réformer; mais le véritable enjeu, c’est de changer le système de gouvernance. La gestion de l’Etat guinéen est complet décalage avec le monde moderne. Par ailleurs, j’ai la nette impression que la classe politique dans son ensemble a succombé au charme de l’électoralisme et que toute sa stratégie se résume à dire:« lèves- toi que je m’y mette. »
Dans ce blocus nos populations sont prises en otage, la majorité des guinéens vivent en dessous du seuil de pauvreté. Les investisseurs étrangers voudraient bien venir en Guinée, compte tenu de l’énorme potentiel économique du sol et du sous sol. Hélas il nous manque pour l’instant, la volonté politique d’organiser un vrai dialogue national pour apaiser le climat social afin de sortir de cette impasse. Que chacun prenne son courage à deux mains : pouvoir et opposition pour procéder à des Assises Nationales pour une vraie Réconciliation. C’est un appel pressant que je lance, pour éviter à notre cher pays un chaos qui lui sera fatal!
Cet appel s’adresse au premier magistrat du pays, le président de la République le Professeur Alpha Condé qui a dit récemment :
«je demande aux guinéens de se donner la main pour plus d’unité et de solidarité.»
Il est grand temps que le Président de la République prenne la juste mesure de la gravité et de l’urgence de la situation réelle du pays. Ce ne sont ni les prières, ni les multiples lectures du Saint Coran dans les différentes mosquées du pays qui apporteront le changement politique tant attendu et espéré par nos populations.
« Dieu ne changera en rien la condition d’un Peuple tant que celui-ci n’aura point modifié ce qui est en lui. » ou plus simplement, « aides-toi le ciel t’aidera ».
Malheureusement ce qui est dans la Guinée, surtout chez le guinéen aujourd’hui c’est l’intolérance, l’égoïsme, l’ethnocentrisme, le népotisme, la corruption. Ce sont ces maux érigés en sport national que nous devons tous impérativement abandonner. Que les leaders politiques arrêtent un peu la guerre des égos pour voir au delà de leur parti l’ensemble de la Guinée, surtout les populations démunies et abandonnées à leur sort. C’est uniquement en ce moment que Dieu changera quelque chose pour nous !
Pour cela Il faut au départ une réelle volonté politique de la part du premier responsable du pays pour organiser avec son opposition un vrai dialogue national permettant de poser les grands problèmes du pays, afin de trouver ensemble un consensus, condition indispensable à toute réconciliation. il ne peut pas y avoir de réconciliation sincère sans un dialogue sincère. Toute la classe politique (pouvoir et opposition) doit se retrouver autour d’une table pour poser les énormes problèmes qui assaillent notre pays : les problèmes de santé, de sécurité, d’éducation, de justice, de citoyenneté, d’infrastructures routières, d’adduction d’eau, d’énergie…
Aucun parti politique seul, aucune ethnie seule, aucune région seule, aucune coalition d’intérêts partisans seule, ne pourra sortir aujourd’hui notre pays de l’ornière. Il nous faut un grand sursaut national pour faire un dialogue ouvert et tolérant n’excluant personne, afin que nous puissions amorcer un réel redressement national.
C’est l’occasion de rappeler aux guinéens que les élections, qu’elles quelles soient ne sont jamais synonymes ni de Démocratie, ni de paix sociale ou progrès socio-économique. Toutes les dictatures du monde ont toujours organisé des élections. Les régimes défunts de la première et deuxième république organisaient des élections, cela nous a jamais apporté ni la démocratie, ni la paix encore moins le développement socio-économique. Nous venons d’organiser l’élection présidentielle en 2010, dans un climat politique de haine et de violence avec la plus grande confusion. Nous voyons les résultats maintenant.
Dans le pays aujourd’hui, tout le monde fait une fixation sur la tenue des élections législatives, en se disant qu’après ces élections le pays pourra trouver la voie du changement. Je pense que nous faisons encore fausse route, il nous faut, avant toute élection, mettre à plat les causes profondes du blocage politique actuel par un dialogue national inclusif, sincère, c’est un préalable incontournable !
« Il est impossible de bien soigner une maladie correctement sans en connaitre ni sa cause, ni ses mécanismes biologiques intimes »
Effectivement l’environnement social et le climat politique actuels dans notre pays ne sont guère favorables à des élections transparentes, crédibles, apaisées dont les résultats seront acceptés de tous. En effet dans un environnement social marqué par une division ethnique et régionale exacerbée sans précédent dans l’histoire de la Guinée indépendante, avec un climat politique où pouvoir et opposition se regardent en permanence en chiens de faïence, organiser des élections serait suicidaire pour le pays. L’Urgence Vitale pour notre pays aujourd’hui, reste et demeure, ici et maintenant la convocation d’Assises Nationales par le chef de l’Etat afin de débattre des questions d’intérêt national telles que la sécurité, la citoyenneté, l’intégration et la réconciliation nationales. Ce sont autant de défis qui attendent la Guinée et qu’aucun gouvernement seul ne peut relever ; la réconciliation nationale et le décollage socioéconomique sont à ce prix. Je pense que dans la situation politique actuelle, ces élections sans un dialogue national préalable vont plutôt nous compliquer les choses car elles risquent de mettre le feu aux poudres en ravivant les tensions sociales.
« Cela reviendrait à opérer un malade dans une salle d’opération surinfectée, le patient ne pourra que s’infecter. »
Il ne faut tout de même pas oublier que le pays a failli s’embraser lors du deuxième tour de l’élection présidentielle 2010.
Notre pays connaît de profondes blessures, et il a un besoin urgent de se réconcilier avec lui-même, après un Dialogue ouvert et sincère. Les fondations de notre pays sont minées par la problématique ethnique et identitaire et, en effet il y a chez nos compatriotes une confusion entre l’identité personnelle et l’appartenance ethnique. Un Malinké se veut le digne représentant de tous les Malinkés, un Soussou ou un Peul pense la même chose. Cette situation est malheureusement exploitée à des fins politiciennes. L’ethnocentrisme et le communautarisme sont devenus la règle au mépris des articles 3 et 4 de notre Constitution qui stipule.
Article 3 : « Les Partis politiques concourent à l’éducation politique des citoyens…. Ils ne doivent pas s’identifier à une race, à une ethnie, une région, ou une religion.»
Article 4 : « La loi punit quiconque par un acte de discrimination raciale, ethnique, religieuse, par un acte de propagande régionaliste, ou par tout autre acte qui porte atteinte à l’unité nationale…. »
Ces deux articles de notre Constitution ne sont guère respectés et c’est le moins que l’on puisse dire.
Pour la renaissance de notre pays nous avons plus que jamais besoin de ce Dialogue National, pour apaiser le climat politique. Le pays a besoin d’un nouveau Pacte républicain pour sceller son unité et sa cohésion sociale. Ce Pacte doit exiger le respect de loi et de la justice sociale, le refus de l’exclusion. Il va définir une nouvelle citoyenneté guinéenne qui consacre l’égalité tous devant la loi. Les populations de nos quatre régions naturelles ont soif de paix, ont envie d’un développement socioéconomique et d’un bien-être moral. C’est la vocation de la classe politique de leur garantir cela. Je demande solennellement à l’opposition de prendre l’initiative de solliciter auprès du Président de la république le Professeur Alpha Condé et la majorité présidentielle, la tenue d’Assises Nationales pour la réconciliation le plus rapidement possible.
Pour ce qui me concerne je suis prêt à consacrer mon énergie pour promouvoir ce Dialogue National et je lance un vibrant appel à tous les patriotes guinéens des partis politiques ou de la Société civile pour que nous réfléchissions ensemble pour trouver les voies et moyens afin d’impulser ce Dialogue inclusif inter-guinéen indispensable à une vraie réconciliation nationale, gage de la paix et de l’unité nationale.
Vive la Guinée et Vive la Paix.
Docteur Diakité Bakary
Contact: diakite.bakary@hotmail.fr